• Aller vers les femmes victimes de violences en ruralité 

    article en cours de rédaction

    Chez Solidarité Femmes Beaujolais, nous travaillons exclusivement en aller-vers et hors-les-murs. Ce mode de fonctionnement est en lien étroit avec le contexte d’ultra-ruralité dans lequel nous travaillons, et qui impacte au quotidien les femmes victimes de violences. La ruralité renforce leur isolement par des processus connu tel que le manque de mobilité, l’interconnaissance au sein de petites communes, le manque de connaissance des dispositifs d'aide.

     

    Dans cet article, nous vous partageons plus en détails notre stratégie de mobilisation du territoire afin de répondre aux besoins spécifiques des femmes victimes de violences en zones rurales.

     

    ▶️Notre zone d'intervention : le Beaujolais

    ▶️Accompagner les femmes en zones rurales

    ▶️Aller à la rencontre des habitantes et habitants pour mobiliser le territoire

  • ▶️Notre zone d'intervention : le Beaujolais

    le Beaujolais, c’est sur l’autoroute qui va de Paris à Marseille, vous avez ces sorties qui vont vers le Beaujolais (Belleville, Villefranche…). C’est en général ce que l’on connaît du Beaujolais. Et bien ce n’est pas là que nous sommes installé·es ! On n’intervient pas sur le Val-de-Saône mais sur le Beaujolais rural. C’est pour cela que l’on insiste sur les différents degrés de ruralité, donc je me suis mise depuis quelques temps à parler « d’ultra ruralité ». Vous allez voir dans notre présentation qu’il y a beaucoup de points communs entre tous les milieux ruraux et même avec d’autres types de territoires comme Sophie l’a dit. Une fois que l’on a fixé un peu la géographie, notre territoire c’est à peu près 80 villages, et sur ces communes on a 5 « villes » qui ont entre 2000 et 5000 habitant·es. Toutes les autres sont en-dessous de 2000 habitant·es, avec une grosse partie autour de 500 à 1000 habitant·es.

    carte à rajouter

    On voulait vraiment vous dire que chez nous, l’aller vers était une nécessité dès la création de l’association, parce qu’il fallait faire émerger la problématique, ce qui n’avait jamais été fait. Faire participer la population était aussi important, donc nous avons créé l’association sur un

    modèle participatif. Il y a 3 enjeux pour nous que l’on va détailler ensuite :

    1. Connaître le territoire, ses ressources, son identité pour construire des actions impactantes.
    2. On va vous parler d’actions multimodales, ce qui veut surtout dire d’être créatifs et créatives. Notre mot d’ordre, c’est d’utiliser chaque opportunité, de s’engouffrer dans chaque porte ouverte pour aller à la rencontre de la population sur le territoire.
    3. Se préparer : l’aller-vers a été un gros travail, c’est important qu’on se dise que c’est difficile. On essaye de construire une posture d’aller-vers en nous inspirant de cette citation qui nous a beaucoup fait réfléchir : « aller-vers, c’est d’abord partir de ». On doit donc se préparer collectivement à cette posture d’aller-vers.

    Je vais passer rapidement sur les problématiques de ruralité parce que je pense que tout le monde les connaît. On se base beaucoup sur ce fameux chiffre des féminicides en zone rurale, mais je voulais dire un mot sur ce qui nous a marqué quand on est arrivé·es dans le Beaujolais avant de créer l’association. On a fait toute une étude de terrain, et on s’est rendu compte que même si on est dans le même département que Lyon, où il y a des associations qui travaillent depuis plus de 40 ans à la promotion de l’égalité et la lutte contre les violences, en fait dans les villages, il y a très peu voire pas du tout d’affiches ou de flyers qui dénoncent ces violences, donnent des informations sur des dispositifs comme le 3919… Cela nous a donné une idée de l’urgence de faire émerger la problématique pour faire libérer la parole.

     

    En plus d’aller à la rencontre de la population pour savoir quelle était leur connaissance de ces problématiques, on s’est beaucoup interrogé·s sur les questions de mobilité, qui reviennent tout de suite quand on pense aux milieux ruraux. Souvent, on pense « transports en communs ». Oui, on n’a pas de transports en commun ! On a des bus scolaires jusqu’au collège, puis de toute façon au lycée on va en internat, il n’y a pas de lycées chez nous. Mais il faut quand même qu’on se pose la question de la mobilité pour nos activités, parce qu’en fait il y a des déplacements de populations qui vont venir impacter la façon dont on organise nos activités. On s’est installé·es à Lamure-sur-Azergues, pour se mettre au milieu de la zone, on est à une demi-heure de partout et on s’est dit que si on faisait du bruit, les gens viendront à nous… Mais non, ça ne marche pas ! Sur notre territoire, il y a deux vallées et un plateau. Ces territoires sont complétement étanches : si tu es dans une vallée, tu vas descendre plutôt vers Tarare, si tu es dans une autre vallée tu vas descendre plutôt vers Lyon, et une autre plutôt Belleville et Mâcon. Donc tu peux être à 10 minutes de route sur une carte, mais ne jamais te rencontrer, échanger et partager un endroit physique commun. Donc nous, étant dans une de ces vallées, notre nécessité c’est de multiplier toutes nos actions par 3 ! Ce qui a été une prise de conscience importante pour nous pour travailler sur ces questions d’aller-vers. Une autre chose qui nous a paru importante dès le début et qui a été renforcée par les échanges avec le territoire, c’est vraiment le besoin d’avoir un ancrage local qui soit fort, en proximité, mais surtout qu’il y ait une continuité dans le lien. Certain·es professionnel·les, notamment des sages-femmes, des infirmier·ères et des travailleur·ses sociaux, étaient un peu au courant des violences conjugales, mais n’avaient pas de dispositifs pour orienter les dames hormis à Lyon et Villefranche. Donc ils savaient très bien que les dames n’allaient rien faire, qu’elles n’allaient pas y aller. Il y avait donc cette nécessité d’être en lien et de se déplacer régulièrement dans les villages.

     

    On a aussi observé que dans le Beaujolais, il y avait une vie associative bien fournie, c’est-à-dire qu’il y a un engagement fort de la part des habitant·es des campagnes, avec des dizaines d’associations (clubs de chasse, de pêche, des écoles, etc.). La vie de la campagne est rythmée par des évènements qui sont créés par des bénévoles. On s’est dit que pour que l’association soit accessible et que les gens aient envie de nous rejoindre, on doit s’inspirer de ce qui existe déjà. On a voulu commencer par trouver des gens engagés et engageants en faisant des petites réunions chez l’habitant·e, pour commencer à créer un réseau. On s’est inspiré de ce qui est fait à Gaillac, en essayant d’impliquer la population locale, de les sensibiliser pour qu’ils

    puissent être en capacité de parler de l’association et de la lutte contre les violences faites aux femmes. C’est cette dynamique de faire participer le territoire à nos actions qui nous permet pour la deuxième année d’avoir 120 adhérent·es dont presque 50 bénévoles, qui sont vraiment des ressources pour toutes nos actions d‘aller-vers, puisque ce sont autant de sentinelles qui repèrent les portes ouvertes où qui les ouvrent.

    ▶️ Accompagner les femmes en zones rurales

    Nous avons pris le parti de n’avoir aucune action « dans les murs » de l’association. Notre local est un lieu ressource pour les professionnel·les, mais nous n’y recevons jamais personne et n’y faisons aucune activité. On ne veut pas être identifiée comme l’association d’un village, mais comme l’association de 80 villages. On a pris conscience collectivement que l’une des premières questions que l’on nous pose n’est pas « qu’est-ce que vous faites ? » mais « vous êtes d’où ? ». Cette appartenance et identité en milieu rural est vraiment forte. Ainsi, nous sommes tous les jours en voiture : l’idée est que les professionnel·les soient au bureau le lundi pour les réunions et qu’ensuite plus personne ne soit au bureau pour les interventions qui sont en deux catégories : hors-les-murs et en aller-vers. La catégorie hors-les-murs concerne beaucoup la partie accompagnement de l’association. L’idée est d’impliquer le territoire et les partenaires ; on est allé·es dans beaucoup de mairies et de centres sociaux qui nous ont accueillis les bras

    ouverts, avec l’idée de réfléchir ensemble. Par exemple, dans ce village, à Rivolet, il y a 500 habitant·es : où est-ce qu’on peut recevoir une dame de façon anonyme et au maximum sécurisée ? On engage une réflexion avec la mairie et les associations locales, et parfois ça peut être un petit bureau derrière le bâtiment de la mairie, des maisons du Rhône, etc. L’idée est de trouver plusieurs petits endroits où recevoir les dames pour qu’elles puissent venir nous rencontrer à moins de 10 minutes de chez elle, de leur travail ou là où ça les arrange. Quand une dame nous appelle sur les permanences téléphoniques, on doit lui proposer un rendez-vous dans la semaine en s’adaptant à son planning et à ses problématiques (mobilité, contrôle, etc.). En fonction de ses besoins, on peut solliciter un partenaire déjà présent, ou on peut créer des nouveaux partenariats avec des

    villages. Cela permet de mettre un pied dans un nouveau village en rencontrant l’équipe municipale : qu’est-ce qui se passe dans ce village ? A quel évènement municipal pourrait-on venir poser notre stand ?

    ▶️Aller à la rencontre des habitantes et habitants pour mobiliser le territoire

    Sur la partie aller-vers, une grande partie de nos activités consistent en un stand que l’on va poser quelque part : l’année dernière cela correspondait à une vingtaine de dates. Cette année, on a développé des activités dans les écoles primaires, donc en plus de ne pas attendre les forums des associations (qui n’existent pas dans tous les villages), nous sommes présent·es sur les marchés autour du 8 mars et du 25 novembre, et on va proposer des moments de rencontres devant les écoles primaires, sur la place du village dans un cadre informel. On a testé d’être présent·es dans une boutique spa, ce qui a beaucoup plu. Pour finir, c’est surtout le pôle prévention qui s’occupe de toute la partie aller-vers, mais c’est aussi beaucoup animé par des bénévoles. Je vais donc vous parler de la posture que l’on veut promouvoir dans l’association pour créer de l’engagement. Se préparer matériellement c’est aussi une façon de se préparer collectivement, puisque le matériel doit être au servir des objectifs que l’on s’est donnés. On veut un stand qui soit repérable et convivial : par exemple, quel livre je laisse ouvert sur la table pour amorcer des discussions ? Et nous avons des gilets roses pour être identifiables. Nous devons être capable de parler de l’association et d’échanger : on n’est pas là pour convaincre, mais pour ouvrir la porte, créer du lien vers d’autres espaces d’échanges et de transmission.

     

    Un dernier point en conclusion, c’est qu’il faut aussi se préparer individuellement. Pour chaque nouvelle personne qui veut participer, il faut être prêt à se prendre en pleine face la multiplicité des gens qui nous aiment ou pas, qui comprennent ou pas, qui sont intéressés ou pas, pour qui c’est le bon moment ou pas… La question qui nous taraude, c’est comment construire individuellement une posture dans laquelle on va être prêts à accepter le fait que chacun chemine à son rythme dans la lutte contre les violences faites aux femmes, parce que l’aller vers nous confronte vraiment à cela.

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